Dans le canton de Neuchâtel, Médecins du Monde s’engage pour les droits et la santé des personnes exerçant le travail du sexe. Le projet THAYS accompagne une population très précaire et trop souvent victime de violences et de multiples barrières. Entretien avec Maëlle Redois, responsable du projet.
Le projet THAYS s’adresse aux travailleur·euse·s du sexe (Tds). Comment le projet se développe-t-il sur le terrain ?
THAYS est un service de première ligne orienté sur la prévention, l’accès aux soins et la promotion de la santé. Nous avons consolidé notre effectif avec l’engagement de deux intervenantes socio-sanitaires (une travailleuse sociale et une infirmière), nous permettant de tenir une permanence téléphonique et des permanences physiques entre Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds afin de réceptionner les demandes et d’accompagner les Tds dans leurs démarches sanitaires et sociales. Les équipes vont également directement au contact des Tds au sein des salons de massages du canton, ainsi qu’en ligne, via les plateformes d’escorting.
Lors de ces rencontres, nous distribuons du matériel et des messages de prévention et promotion en santé et sur leurs droits sociaux, discutons de leurs conditions de vie et des problématiques qu’ils ou elles peuvent rencontrer, comme des cas de violence. En partenariat avec les Centres de Santé Sexuelle et Génération Sexualités Neuchâtel (GSN) nous organisons également le dépistage des Infections Sexuellement Transmissibles (IST).
Quelle est la situation des Tds en Suisse ?
Le travail du sexe est légal en Suisse mais les législations varient selon les cantons, tout comme le profil des Tds. À Neuchâtel, le travail du sexe est légal au sein des salons de massages et appartements privés, ainsi que l’escorting, mais est illégal en rue. Les Tds ont un statut de travailleur·euse·s indépendant·e·s.
Entre janvier et avril 2024, nous avons déjà recensé la présence de 684 Tds au sein du canton de Neuchâtel. La plupart exercent dans des salons et sont très mobiles : depuis la crise du Covid-19, on estime que les Tds restent en moyenne deux semaines dans un même salon avant de changer de lieu de vie.
La grande majorité sont des femmes cisgenres, d’origine étrangère, avec un permis de séjour B ou une autorisation de travail de 90 jours. Une minorité seulement parle français et beaucoup ont des connaissances lacunaires en termes de santé sexuelle. Les Tds sont également un public particulièrement exposé à des comportements violents, de la part de client·e·s et de certain·e·s responsables de salons. La très grande majorité sont dans une situation de grande précarité financière en raison de la variabilité importante du nombre de client, de la forte concurrence et des frais fixes très élevés.
Très concrètement, en termes d’impact, arrivons-nous à améliorer la santé et le quotidien de cette population ?
Nous cherchons à réduire au maximum ces barrières d’accès à la santé et au respect de leurs droits. Notre travail vise en premier lieu à casser cette sensation de solitude ressentie par beaucoup de Tds, à renforcer leurs propres connaissances et compétences dans le système socio-sanitaire, puis à renforcer le système lui-même pour que l’accès se fasse ensuite sans entrave, libre de toutes discriminations et adapté à leurs besoins.
Donc la réponse selon moi est « oui » : les Tds sont informé·e·s des risques en termes d’IST selon les pratiques sexuelles, ils et elles savent dans quels services se rendre et sont accompagné·e·s selon leurs besoins socio-sanitaires, connaissent leurs droits et comment les faire respecter, et les principaux acteur·ice·s du système sont sensibilisé·e·s aux problématiques qui entourent le travail du sexe.
Le projet THAYS est un travail multisectoriel et en partenariat
Effectivement, au cœur de notre activité se trouvent nos partenaires et l’ensemble des acteur·ice·s en lien avec ce public. Nous travaillons étroitement avec les centres de santé sexuelle, ainsi que le GSN pour apporter des dépistages gratuits des IST au sein des salons. Nous sommes également en lien régulier avec la police et le service d’aide aux victimes afin d’accompagner les Tds victimes de violence ou de traite d’êtres humains.
Deux fois par année, nous nous rencontrons avec les différentes institutions publiques du canton en lien avec les Tds afin d’assurer le meilleur respect de leurs droits. À plus large échelle, THAYS fait aussi partie de ProCoRe, le réseau national qui défend les droits et les intérêts des Tds en Suisse. Ce réseau nous offre une plateforme d’échange privilégiée sur les différentes pratiques pour accompagner de manière optimale les Tds, nous permet de nous former selon les évolutions contextuelles et de construire un discours commun de défense des droits des Tds.
Nous souhaitons continuer de renforcer notre réseau de professionnel·le·s et associatifs afin de répondre au mieux aux besoins des Tds, que ce soit en termes d’accompagnement médical ou juridique, ou pour répondre à un désir de réorientation professionnelle ou d’apprentissage de la langue.
Quels sont les principaux défis du projet ?
Cette année, le projet a deux grandes perspectives de développement. La première vise à adresser la problématique des violences que rencontrent les Tds. Nous nous efforçons de documenter au mieux possible les différents types de violences subies afin de mettre en place des actions des sensibilisations auprès des potentiel·le·s auteur·rice·s.
Nous sommes convaincues que cela passe également par une prise de conscience sociétale de lutte contre la stigmatisation du travail du sexe et de la reconnaissance du métier et des Tds.
D’autre part, nous aimerions renforcer considérablement l’accès aux dépistages gratuits et aux traitements des IST en salon pour les Tds, ceci pour répondre à une très forte demande du public et aux besoins en termes de santé publique. Aujourd’hui, au maximum de nos capacités, nous estimons que seulement 7% des Tds présent·e·s dans le canton y auront accès grâce à nos services, ce qui est beaucoup trop peu !