Traitement contre l’hépatite C : l’Etat a payé le prix fort pour un brevet faible
(Paris, le 25 novembre 2022) Suite au recours de Médecins du Monde, l’Office Européen des Brevets maintient sa décision de première instance. Tard dans la soirée du 24 novembre, ce jugement est désormais devenu définitif : la firme pharmaceutique américaine Gilead a violé les règles du brevet sur le sofosbuvir, traitement contre l’hépatite C, et a exigé de manière disproportionnée des fonds publics à partir d’une base juridique faible. Il est urgent que l’Etat prenne ses responsabilités.
A l’issue de l’audience publique de la chambre de recours, l’Office Européen des Brevets (OEB) maintient sa décision d’octobre 2016, qui avait retenu les arguments de Médecins du Monde (MdM). La formule chimique du sofosbuvir n’est pas protégée, contrairement aux revendications de l’industriel.
« Médecins du Monde a eu raison de s’inviter dans le système des brevets, car nous avons démontré que les industriels ne respectent pas les règles et que l’institution publique [l’OEB] à qui les Etats ont confié la mission d’instruire les demandes de brevets n’a pas non plus bien fait son travail », déclare Olivier Maguet, Responsable de la campagne Prix des Médicaments et Systèmes de santé à Médecins du Monde.
Le brevet est affaibli de la même façon que cela a été fait en première instance. Cependant, en raison de retards de procédure, la Chambre de recours n’est toujours pas allée au bout de son analyse sur l’activité inventive du brevet de Gilead. Le jugement sur la révocation ou le maintien du brevet amendé aura lieu ultérieurement, à une date que nous ne connaissons pas.
« Ce retard contribue à entretenir l’incertitude juridique autour du brevet amendé de Gilead. Dans leur stratégie commerciale, les entreprises du médicament brevètent tout ce qu’elles peuvent autour du médicament : le principe actif, le promédicament, les polymorphes, les molécules purifiées, les combinaisons pharmaceutiques, les applications médicales, etc. C’est de cette manière que se constituent leurs monopoles. Résultat : l’OEB est complètement saturé de demandes de brevets qui ne valent pas grand-chose », poursuit Olivier Maguet.
Mais la décision, telle que prise aujourd’hui, permet une avancée : le brevet affaibli ouvre des brèches. L’Etat peut remédier à l’impasse causée par les prix exorbitants exigés par les industriels, menant au rationnement de l’accès aux médicaments et pesant sur tout notre système de santé. « Nous avons pris nos responsabilités avec le seul outil du droit qui était à notre disposition et dévoilé la faiblesse du brevet. Il est donc temps que l’Etat prenne les siennes en déclenchant les outils du droit que lui seul peut utiliser », explique Olivier Maguet.
La licence d’office est l’un de ces outils. Elle peut être activée en France dès lors qu’une invention brevetée est vendue à des prix anormalement élevés. L’État peut légalement, dans certaines conditions et contre rémunération équitable du propriétaire, lever le monopole conféré par le brevet pour permettre la production ou l’importation de versions génériques moins coûteuses. Aucun gouvernement en France ne l’a jamais utilisée, contrairement à d’autres pays.
« L’Etat consent à payer aux industriels le prix fort pour leurs innovations thérapeutiques, y compris lorsque leurs exigences reposent sur des brevets faibles, alors que notre système de santé est au bord de l’effondrement. Cherchez l’erreur ! », affirme la Dr Florence Rigal, Présidente de Médecins du Monde.
« La procédure d’opposition est un garde-fou puissant qui permet à quiconque de remettre en cause la validité d’un brevet. Il est important que la société civile se saisisse de ce type de dispositif et s’invite dans la discussion. Il faut changer les mentalités pour que le système des brevets puisse répondre de façon équitable et équilibrée aux évolutions de notre société » conclut Quentin Jorget, Conseil en propriété industrielle pour Médecins du Monde.
Contexte
Le sofosbuvir, premier médicament contre l’hépatite C sans interféron, avec très peu d’effets indésirables, commercialisé en France sous le nom de Sovaldi®, a marqué un moment de rupture dans le modèle de fixation des prix des médicaments innovants dans notre pays. Pour la première fois dans l’histoire de l’Assurance Maladie, le prix de vente d’un médicament (56 000 euros dès 2013, puis 41 000 euros à partir de 2014) conduisait à un rationnement et à un tri des patients. Avant l’élargissement de l’accès en 2017, et contre toute recommandation fondée sur des critères médicaux cherchant à contenir l’épidémie, le sofosbuvir n’était remboursé par la sécurité sociale qu’aux malades de l’hépatite C les plus gravement atteints. Étaient ainsi exclues les personnes infectées chroniquement à un stade moins avancé.
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