Palestine
Déclaration des équipes de Médecins du Monde intervenant en territoire palestinien occupé
Un système de santé déjà fragile
Pendant plus de six décennies, les politiques et les pratiques mises en œuvre par l’Etat d’Israël ont déplacé par la force et dépossédé de leurs biens les Palestiniens ; la population palestinienne qui n’a pas été déplacée s’est progressivement retrouvée isolée dans des enclaves urbaines contrôlées par Israël, apatride et sous occupation militaire. De ce fait, le secteur de la santé en Palestine s’inscrit lui-même dans un contexte marqué par l’occupation continue d’Israël, la croissante fragmentation territoriale, démographique, socio-économique et politique de l’État palestinien et une crise humanitaire persistante. En tant que défenseurs du droit à la santé en Palestine, nous ne connaissons que trop bien la fragilité du système de santé, même avant l’annonce de la pandémie de COVID-19. Aujourd’hui, les 526 cas confirmés et les deux décès enregistrés en Cisjordanie et les 20 cas enregistrés à Gaza[1] ne font que révéler les carences déjà existantes d’un système de santé au bord de l’effondrement.
Une violence et des destructions incessantes
Le territoire palestinien occupé n’a pas fait figure d’exception lorsqu’un confinement mondial a été engagé pour ralentir la propagation du COVID-19. Des mesures de restriction ont été prises dans l’ensemble de la Cisjordanie pour limiter la circulation entre les villes, fermer tous les commerces non-essentiels et ordonner à la population de rester chez elle. Pour une population dont le niveau de pauvreté est déjà élevé et qui dépend majoritairement du travail journalier et occasionnel, ces mesures nécessaires n’en ont pas moins un effet dévastateur sur les moyens de subsistance et le bien-être des Palestiniens. Avant même l’annonce de la pandémie de COVID-19, les prévisions de la Banque mondiale laissaient déjà entrevoir une croissance négative de l’économie palestinienne en 2020 et 2021.[2]
En Cisjordanie, la destruction des propriétés s’est poursuivie sans interruption tout au long du premier trimestre 2020. Nombre de ces propriétés étaient des habitations, des infrastructures, des installations d’approvisionnement en eau et d’assainissement (telles que des réservoirs d’eau et des citernes, des robinets et des latrines), qui sont également vitales pour promouvoir l’hygiène et empêcher la propagation des maladies. La violence des colons s’est également poursuivie, en dépit du confinement et des mesures de restriction de la circulation s’appliquant aux citoyens israéliens dans le cadre de la lutte contre le COVID-19, et nous avons continué à voir des colons israéliens blesser des Palestiniens, détruire des arbres et vandaliser des véhicules en toute illégalité.[3]
Face à de tels événements, il est important de renforcer l’accès aux services de santé mentale. Malgré des besoins constants en la matière, celui-ci est cependant limité aujourd’hui en raison du confinement instauré pour faire face à l’épidémie de COVID-19. Médecins du Monde reste mobilisé sur le terrain pour assurer la protection vitale des communautés auprès desquelles nous travaillons et leur donner accès à des services de santé mentale et psychosociale lorsqu’elles en ont besoin tout au long de cette crise.
Gaza – au bord de l’effondrement
La situation à Gaza s’est presque inversée aux cours des dix dernières années en matière d’accès à la santé. La qualité des services publics mis à disposition à Gaza est contestable ; bien que de nouveaux services ouvrent dans les hôpitaux, les éléments essentiels à leur bon fonctionnement, à savoir des médicaments, du matériel et des ressources humaines, manquent généralement à l’appel. Au cours du deuxième trimestre 2019, en moyenne, 50 % des médicaments étaient disponibles et il ne restait dans les stocks que l’équivalent d’un mois d’approvisionnement, alors que plus de 40 % du stock était totalement épuisé.
Non seulement le manque de médicaments affecte directement la qualité du traitement, mais il peut également représenter un risque croissant en matière de santé publique face à des maladies transmissibles comme le COVID-19 et devenir un enjeu vital pour de nombreux patients. À l’heure actuelle, on ne compte que 65 respirateurs à Gaza et 75 lits de soins intensifs, pour une population de près de 2 millions d’habitants. Il manque par ailleurs énormément de kits de dépistage et d’équipements de protection individuelle (EPI), ce qui entravera les efforts déployés pour freiner la circulation du virus dans la bande de Gaza.[4]
L’épidémie de COVID-19 qui touche Gaza va avoir un effet domino important sur les services de santé existants et déjà débordés, qui sont nombreux aujourd’hui à avoir dû ralentir ou suspendre les soins de santé vitaux.[5] Médecins du Monde se mobilise pour continuer à soutenir les prestataires de soins de santé primaire permettant l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive et de santé mentale, maintenir l’accès aux services de planification familiale et continuer à fournir un accès aux soins de santé mentale à distance par le biais d’une ligne d’assistance téléphonique. Nous accompagnons également les hôpitaux et le Ministère de la santé à travers des formations au triage, des actions de sensibilisation et la mise à disposition des EPI nécessaires et des médicaments essentiels.
Droits de l’Enfant
Les enfants palestiniens continuent de faire l’objet d’arrestations malgré la mise en œuvre par l’Autorité palestinienne et le Gouvernement d’Israël de mesures de confinement en lien avec le coronavirus. Plus de 20 mineurs auraient été ainsi détenus depuis l’entrée en vigueur de ces mesures en mars dernier.[6]
Israël se doit de respecter les obligations prévues par la Convention relative aux droits de l’enfant. En refusant de relâcher les détenus mineurs, il met en péril la santé de ces enfants alors que c’est à l’État qu’il incombe de protéger la santé et le droit à la santé de tous les enfants qui relèvent de sa juridiction. Relâcher les enfants incarcérés pour faire face à l’urgence de l’épidémie de COVID-19 permettra à Israël de se mettre progressivement en conformité avec les recommandations de l’OMS et de l’ONU en matière de prévention et de riposte à l’épidémie de Coronavirus.
Recommandations
Toute riposte au COVID-19 doit être fondée sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, sans discrimination aucune. Il convient de rappeler à tous les acteurs du conflit que la santé ne doit en aucun cas être utilisée à des fins politiques ou devenir un levier pour atteindre des objectifs qui ne soient pas liés à la santé. Les mesures d’urgence en cours d’adoption pour faire face à cette crise de santé publique doivent faire l’objet d’une surveillance constante tout au long de la pandémie et après celle-ci, afin de veiller à ce qu’elles ne soient pas instrumentalisées pour priver les Palestiniens de leurs droits inaliénables ou consolider l’occupation.
- En tant que puissance occupante, Israël doit assumer pleinement ses responsabilités en matière de santé à l’égard des Palestiniens vivant en territoire palestinien occupé et développer une réelle coopération avec les autorités palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza pour s’assurer qu’elle répond aux besoins de la population en matière de santé.
- Israël doit lever immédiatement les restrictions sur l’acheminement de l’aide humanitaire et médicale vers la bande de Gaza et faciliter la mise en œuvre des services humanitaires essentiels.
- Israël doit faire cesser immédiatement toutes les destructions de propriétés en territoire palestinien occupé et garantir la protection des Palestiniens face à la violence croissante des colons à leur égard pendant cette période.
- Israël doit établir de toute urgence un moratoire sur les nouvelles admissions de mineurs dans des prisons et des centres de détention, chercher des alternatives aux peines de prison pour les enfants et relâcher ceux qui sont actuellement en détention.
- Les ministères concernés en Cisjordanie doivent assurer la coordination de l’acheminement du matériel médical et de l’aide humanitaire nécessaires au dépistage de la COVID-19.
- Tous les acteurs doivent garantir la libre circulation du personnel humanitaire essentiel à la mise en œuvre de la riposte contre l’épidémie entre Israël et la bande de Gaza, dans le respect des dispositions qui ont été prises en matière de santé publique et de sécurité.
- Tous les acteurs doivent faciliter le travail des organisations humanitaires qui continuent de fournir des services humanitaires essentiels, notamment dans les domaines de la santé, du logement, des installations d’approvisionnement en eau et d’assainissement, de l’alimentation, de l’éducation et de la sécurité.
- L’Autorité palestinienne doit veiller à ce que les fonds destinés à la santé soient directement et adéquatement alloués au bénéfice de tous les Palestiniens, y compris des habitants de Gaza.
- La communauté internationale doit s’assurer qu’Israël obéit au droit international humanitaire et au droit relatif aux droits humains, en veillant à ce que tous les Palestiniens librement accès aux soins de santé (en tenant compte de toutes les mesures disponibles pour empêcher la propagation de maladies contagieuses) et à que les obstacles à cet accès soient éliminés.
- La communauté internationale doit soutenir le déploiement de l’aide à Gaza, en coopération avec les autorités locales, en veillant à ce que les mesures anti-terroristes n’entravent pas l’accès aux biens et services essentiels à la lutte contre la COVID-19 dans la bande de Gaza.
[1]https://app.powerbi.com/view?r=eyJrIjoiODJlYWM1YTEtNDAxZS00OTFlLThkZjktNDA1ODY2OGQ3NGJkIiwidCI6ImY2MTBjMGI3LWJkMjQtNGIzOS04MTBiLTNkYzI4MGFmYjU5MCIsImMiOjh9chiffres du 7 mai 2020
[2] https://www.worldbank.org/en/country/westbankandgaza/publication/economic-update-october-2019
[3] https://www.ochaopt.org/poc/3-16-march-2020
[4] Le nombre total de tests en Palestine depuis le début des crises est de 15 150 dont moins de 2 000 se situent à Gaza https://www.ochaopt.org/sites/default/files/2020-04-06_sitrep_3_covid-19_response.pdf
[5]Environ 1 000 patients à Gaza ne peuvent pas être orientés vers un traitement spécialisé en dehors de Gaza à cause de la fermeture des frontières ; plus de 4 000 personnes se trouvent dans l’attente d’une intervention chirurgicale qui sera pour le moment être reportée ; environ 50 000 personnes qui attendent des soins ambulatoires seront affectés en raison de la redéfinition des priorités en matière de services de santé. https://www.ochaopt.org/content/covid-19-response-plan
[6] https://www.dci-palestine.org/palestinian_children_detained_by_israel_increases_amid_covid_19_pandemic