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En cours de lecture « Notre plus grande peur : perdre nos domiciles et pire encore, notre histoire, notre identité et notre futur »
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"Notre plus grande peur : perdre nos domiciles et pire encore, notre histoire, notre identité et notre futur"

Article 11.12.2025
Equipe médicale de Médecins du Monde à Jenin, Cisjordanie. Septembre 2024 © MdM

© MdM

  • « Notre plus grande peur : perdre nos domiciles et pire encore, notre histoire, notre identité et notre futur »

En Cisjordanie, la violence militaire, les déplacements forcés et la destruction de la vie collective ont déclenché une crise majeure qui va bien au-delà de ce qui est visible. La santé mentale est profondément affectée, tandis que la vie quotidienne est devenue une succession de pertes, de peur, de douleur et de ruptures qui laissent des traces difficiles à mesurer, mais impossibles à ignorer.

Depuis le début de l’année 2025, plus de 44’000 personnes ont été expulsées de leur foyer, à la suite d’une offensive croissante qui a généré la plus grande vague d’expulsions depuis 1967. Si les chiffres parlent d’eux-mêmes, derrière chaque chiffre se cachent des familles séparées, des souvenirs abandonnés, une incertitude et un épuisement qui sont devenus constants. Que se passe-t-il lorsqu’une communauté vit entre les raids, les bombardements et les restrictions ? Qu’en est-il de la santé mentale de ceux qui perdent non seulement leur maison, mais aussi leur sentiment de sécurité, de stabilité et d’appartenance ?

Le rapport de Médecins du Monde, élaboré entre 2024 et 2025 dans différents camps de personnes réfugiées, documente les effets psychologiques de l’occupation israélienne sur les réfugié·e·s palestinien·ne·s en Cisjordanie. Il s’appuie sur des données cliniques et des témoignages, et montre des schémas profonds de traumatisme psychologique qui transcendent les générations et touchent aussi bien les adultes que les enfants. L’analyse comprend des évaluations, des registres de symptômes récurrents et des observations longitudinales qui permettent d’identifier les tendances dans l’évolution du traumatisme dans des conditions de stress extrême.

98 % des personnes prises en charge par notre équipe présentent des signes graves d'angoisse

Hypervigilance constante

Dans les camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nur Shams, la vie quotidienne est devenue une question de survie en raison des opérations militaires liées à la présence militaire israélienne. Les assauts se produisent sans préavis et de manière continue. Bombardements, destruction des infrastructures, interruptions des approvisionnements de base, etc.

Comment reconstruire un foyer quand rien ne garantit qu’il sera encore debout demain ? Les professionnel·le·s de la santé mentale soulignent que ce type d’exposition intermittente mais chronique génère des cycles d’hypervigilance, un symptôme fréquent chez les personnes victimes de violence en Cisjordanie.

La violence ne se contente pas d’expulser les familles de leurs maisons, elle les oblige à vivre dans un état d’alerte permanent, un mécanisme psychologique qui, maintenu dans le temps, provoque un épuisement émotionnel évident. Les chiffres le prouvent : 96 % des personnes prises en charge par Médecins du Monde affirment que l’occupation interfère dans leur vie quotidienne, et 98 % présentent des signes graves d’angoisse. Tout cela montre une détérioration accélérée de la santé mentale des réfugié·e·s palestinien·ne·s.

Traumatisme et transmission générationnelle

Les dommages psychologiques documentés par Médecins du Monde sont vastes et profonds. Selon les données recueillies lors des deuxièmes visites psychosociales, 70 % des personnes présentaient des symptômes tels que le désespoir, le stress chronique, des troubles psychosomatiques ou un sentiment d’impuissance acquise. Et 74 % avaient été confrontées à de multiples épisodes violents en seulement quatre mois. Ces données révèlent un schéma d’exposition continue au traumatisme psychologique qui empêche le processus naturel de guérison émotionnelle.

Dans ce contexte, une question essentielle se pose : comment une communauté peut-elle guérir lorsqu’il n’y a ni sécurité, ni stabilité, ni temps pour surmonter le traumatisme vécu, d’autant plus lorsqu’il est toujours présent ? La présence militaire ne provoque pas seulement des dommages immédiats, elle érode également les conditions nécessaires à la guérison psychologique. L’impossibilité de se sentir en sécurité et la menace constante, ajoutées à la perte de proches, de son foyer, etc., transforment ce traumatisme en un cercle vicieux difficile à briser.

Ce cercle vicieux comporte également une composante générationnelle, c’est-à-dire que cette situation entraîne un traumatisme dans lequel les expériences passées s’entremêlent avec l’anticipation de dommages futurs, générant une peur existentielle qui met en danger l’identité collective palestinienne et alimente le traumatisme générationnel.

Dans ce scénario, les enfants sont les plus vulnérables. Beaucoup souffrent de régressions, d’anxiété sévère ou d’une maturation émotionnelle accélérée qui les oblige à « grandir avant l’heure ». Leurs maisons et leurs écoles (des espaces qui devraient être sûrs) sont envahies ou détruites, éliminant ainsi leurs refuges physiques et psychologiques.

Les souffrances causées par l’occupation israélienne répondent aux critères de la torture psychologique

Les conclusions du rapport soutiennent que les souffrances causées par l’occupation israélienne répondent aux critères de la torture psychologique, selon les normes des Nations unies.

La combinaison des agressions, des déplacements forcés, de la dévastation de l’environnement de vie et de l’absence de protection génère une souffrance continue qui empêche les personnes de mener une vie digne. En effet :

  • Il n’y a pas d’endroit sûr où se reposer
  • Il n’y a pas de stabilité pour se reconstruire
  • Il n’y a pas de temps pour surmonter les traumatismes vécus

Tout cela affaiblit considérablement les mécanismes de résilience dont toute personne peut disposer.

Dans ce contexte, les recommandations de Médecins du Monde visent à rétablir les conditions minimales de dignité et de protection :

Peut-il y avoir rétablissement psychologique sans justice, sans liberté et sans garanties de non-répétition ? Le rapport affirme clairement que non.

Rétablissement psychologique possible qu’avec la fin de l’occupation

La situation en Cisjordanie n’est pas seulement une crise humanitaire, c’est aussi une crise émotionnelle et psychologique de grande ampleur. La violence militaire d’Israël en Cisjordanie détruit les foyers et la capacité des personnes à vivre sans crainte, à imaginer un avenir ou à se protéger des dommages psychologiques et des traumatismes. Les conclusions techniques du rapport indiquent que, sans un environnement sûr et sans la fin de l’occupation israélienne, toute intervention en matière de santé mentale en Cisjordanie a une portée limitée.

Le rétablissement psychologique du peuple palestinien ne sera possible qu’avec la fin de l’occupation, le respect des droits humains et l’accès garanti aux soins de santé, y compris aux interventions en santé mentale.